LUC, LE GARCON QUI VOULAIT DEVENIR POMPIER POUR SAUVER DES VIES

publié le 09-06-2023

LUC, LE GARCON QUI VOULAIT DEVENIR POMPIER POUR SAUVER DES VIES

L'article ci-dessous a été rédigé et publié avec l'accord et la participation de Marc Forster, père de Luc. A quelques jours de la Journée Nationale du Don d'Organes (22 juin), il constitue à nos yeux un vibrant - et nécessaire - hommage aux donneurs d'organes et à leurs familles ainsi qu'aux équipes de coordination des services hospitaliers de don et transplantation qui sont à l'écoute permanente des familles, avec compétence, efficacité et humanité.

« Je m’appelle Marc FORSTER, Lieutenant de Sapeurs-Pompiers professionnel au SIS 67 (Service d’Incendie et de Secours du Bas-Rhin) et père de trois enfants.

Un soir d’aout 2020 (je ne donnerais pas la date exacte dans le souci du respect du principe de l’anonymat) mes collègues SPV (Sapeurs-Pompiers Volontaires) du centre de secours où je suis également SPV m’appellent pour me prévenir que mon second fils « Luc » qui venait d’avoir ses 18 ans en avril, a eu un accident.

Je me suis immédiatement rendu sur place, Luc avait visiblement été effrayé par un chien en liberté dans une cour de ferme dont le portail était resté ouvert. En reculant il a été heurté par un VL dont la conductrice ne pouvait rien faire pour éviter le choc. Luc était conditionné dans le VSAV, il était inconscient et présentait des signes d’engagement cérébral. Il a été héliporté par Dragon 67 vers le CHU de Strasbourg-Hautepierre.

Pour nous, démarrait une longue attente. Luc est pris en charge et est opéré en neurochirurgie. Ma compagne et moi faisons les 400 ou plutôt 40 000 pas pendant une grande partie de la nuit en alternant les passages aux machines à café et aux urgences en attendant de ses nouvelles.

Au petit matin, vers 4h30, nous rencontrons le chirurgien. Je lui annonce avoir constaté les signes d’engagement sur les lieux. Ce dernier nous confirme que Luc présente un important hématome sous dural et que sa pression intracrânienne est très élevée. Son pronostic vital reste engagé. Les 24 prochaines heures seront décisives. Je lui explique que je ne souhaite pas faire de mon fils un « légume de réa ».

Au bout de 24 heures la pression intracrânienne ne baisse toujours pas et le pronostic vital devient de plus en plus défavorable. Les risques de basculer vers une mort encéphalique ne cessent d’augmenter !

Luc était le seul de mes 3 enfants qui souhaitait embrasser une carrière de Sapeur-Pompier. Malheureusement il ne le pouvait pas, car ses antécédents médicaux ne le lui permettaient pas. En effet à sa naissance il souffrait d’une transposition des gros vaisseaux et il a dû être opéré à cœur ouvert dès son onzième jour.

En nous préparant à une éventuelle issue fatale, la maman de Luc nous fait savoir qu’elle est favorable aux dons d’organes ! Nous décidons donc, de lui permettre d’accéder à son rêve et de lui permettre de sauver des vies en permettant le don de ses organes. Nous faisons de suite part de notre décision au personnel soignant de la Réa Chir. Ces derniers rendent immédiatement compte au service de la coordination des dons. Un premier contact avec la coordination des dons est immédiatement organisé. Un échange au cours duquel on m’informe du protocole et des précautions prises avant de procéder au prélèvement.

Toutes ces informations prises en compte, je demande à ce que la décision finale soit prise de façon collégiale avec la maman. La réunion se tient 48 h après l’accident et nous donnons notre accord pour le don des organes et de tissus.

Pendant ce temps en réa les soins continuent pour Luc. Nous avons toujours espoir quela tendance s’inverse.

Malgré les efforts de réanimation, le lendemain matin, les premiers signes de mort encéphalique apparaissent. Le diagnostic est confirmé par le scanner l’après-midi, le certificat de décès est établi à l’heure du scanner.

Nous lui rendons visite une dernière fois et donnons le feu vert pour la procédure de prélèvement d’organes. Je ne peux décrire le sentiment de voir un proche, officiellement décédé, allongé sur un lit de réa sous respirateur avec cœur battant. C’est déjà compliqué pour moi, disposant de mes connaissances de sapeur-pompier et de 15 ans de SMUR. Je n’ose pas penser à ce que peuvent ressentir des « personnes lambda » n’ayant pas les connaissances que nous offre notre métier !

Luc sera opéré dans la nuit du 3^ème jour. Les visites mortuaires pourront se dérouler dès le lendemain à l’institut médico-légal de Strasbourg, son corps étant en retenue judiciaire.

Lors de nos visites nous avons pu constater que l’ensemble de nos souhaits a été respecté. Luc était magnifique et habillé comme nous le souhaitions.

Je voudrais particulièrement mettre en avant et remercier, le personnel soignant de la Réa Chir de Hautepierre et tout particulièrement le personnel de la coordination des dons pour son humanité, sa disponibilité, l’accompagnement et le soutien à l’ensemble de ma famille qu’ils ont mené tout au long de cette épreuve.

L’HOMMAGE DE LA PROFESSION ET DE LA COMMUNE.

Après avoir accompagné Luc lors de son dernier voyage, il était temps pour nous de tenter de reprendre le cours de nos vies.

A ce moment-là, je m’interroge sur ma capacité de pouvoir participer pleinement à ma Formation Initiale de Lieutenant (FILT) prévue depuis quelques mois.

L’état psychologique de Léo, le petit frère de Luc étant correct, nous prenons la décision en famille, que je participerai à cette formation, et que je la suivrai pour Luc.

Trois semaines après le décès de Luc, me voilà donc à l’ENSOSP (Ecole Nationale Supérieure des Officiers Sapeurs-Pompiers), physiquement et psychologiquement anéanti. Lors des présentations, je prends la décision d’informer l’ensemble de la promotion (48 officiers venus de 45 départements français) de ma situation pour qu’ils puissent comprendre d’éventuelles absences ou faiblesses de ma part lors de celle-ci. Dans l’après-midi, le président de la promotion vient me voir et m’informe du souhait de l’ensemble de la promotion de baptiser cette dernière du nom de mon fils. Après en avoir discuté avec ma famille, j’accepte la proposition qui sera immédiatement validée par le directeur.

J’imagine Luc, gonflant le torse, fier d’obtenir la reconnaissance de la profession qu’il rêvait d’embrasser. C’est ce qui me donne la force de m’investir pleinement dans cette formation. Je la suivrais non seulement pour moi mais également pour Luc.

Nous travaillons à la création de l’écusson de notre promotion et de la mise en avant des valeurs de solidarité et de générosité que nous souhaitons qu’elle porte. Au cours de la semaine la coordination des dons m’informe que Luc a pu aider 8 receveurs, et que ces 8 personnes se portent toutes bien.

Cette information nous permet de trouver la symbolique de notre écusson : un arbre a 8 branches prenant racines dans un cœur, le cœur représentant la générosité de Luc et les 8 branches les 8 vies qu’il a permis de sauver.

L’idée de réaliser une cérémonie d’hommage de la promotion, pour Luc commence a germer. Les aléas des conditions sanitaires nous emmènent au 30 avril 2022 pour la réalisation de celle-ci.

Lors des préparatifs et suite à mon invitation, monsieur le Maire d’Erstein, ma ville de résidence ou je suis également SPV, me propose de mettre à disposition la place de la mairie pour le déroulement de la cérémonie. Je lui propose à ce moment de profiter de cette cérémonie pour mener une action de sensibilisation de la population sur le don d’organes. Je m’associe donc avec la coordination des dons et la ville d’Erstein pour préparer une journée « Erstein sensibilise au don d’organe ».

La cérémonie d’hommage qui se déroule en public, est présidée par le Directeur départemental adjoint de service d’incendie et de secours du Bas Rhin.

Elle a ensuite été suivie de manœuvres réalisés par les JSP (Jeunes Sapeurs-Pompiers), d’informations aux gestes qui sauvent, et d’un stand de sensibilisation aux dons d’organe tenu par la coordination des dons et en présence de personnes greffées. »

(Extraits de l’intervention faite par Marc FORSTER - membre de France ADOT 67/68 et père de Luc - le 23 mai 2023 à l'ENSOSP

(Ecole Nationale Supérieure des Officiers Sapeurs-Pompiers) d'Aix en Provence devant un public d'officiers sapeurs-pompiers

venus de toute la France et accompagné du Pr. Philippe WOLF, responsable de la Coordination du CHRU de Strasbourg.

La destinée de Luc ne s’arrête pas là. Il continue non seulement à vivre dans le cœur de ses proches mais il anime également l’activité et l’engagement de Marc en faveur du don d’organes tant au sein de sa profession qu’au sein de sa commune et de France ADOT 67/68 pour laquelle il a notamment pris en charge l'organisation de l’étape bas-rhinoise du Cycladot de Gilbert Guillerm (et a contribué à l'organisation de quelques suivantes).

Mais nous aurons très certainement l’occasion d’y revenir …